L’ÉPICÉA EST MORT ?

Vive le résineux !

Est-il vraiment mort ? La question, sans doute outrancière, exprime néanmoins une inquiétude légitime. L’épicéa montre des signes de faiblesse. Le temps de sa toute puissance est révolu. Et chacun pressent que les changements climatiques n’arrangeront rien… Mais quand l’épicéa éternue, c’est toute la filière bois qui s’enrhume ! C’est le socle de la filière. S’il se fissure, sur quelle(s) autre(s) essence(s) la filière pourra-t-elle s’appuyer ? L’épicéa est-il remplaçable ? Les résineux sont-ils remplaçables ? Ce sont des questions qui fâchent, mais qu’il est temps de poser clairement.

La 17e édition des Rencontres Filière Bois tâchera d’y répondre pour préparer l’avenir avec toute l’objectivité nécessaire.

Des Rencontres en deux temps

Comme de coutume désormais, les Rencontres débuteront par une matinée plénière au cours de laquelle seront proposées toutes les informations et réflexions nécessaires à la bonne compréhension de la question traitée. À cette matinée, au caractère conceptuel, succédera, comme les années précédentes, une après-midi au caractère davantage applicatif, qui, par le biais d’ateliers thématiques (sylviculture, transformation du bois, usages du bois, formation…) tentera de montrer aux participants, les professionnels de la filière en particulier, comment, et avec quel bénéfice, la question traitée peut très concrètement être intégrée dans l’exercice de leur métier.

Les faits et analyses

En 1984, la pessière wallonne couvrait près de 200 000 ha ; en l’an 2 000 : 175 000 ha, et actuellement : moins de 123 000 ha ! Avant la crise des scolytes, la surface des peuplements d’épicéa se réduisait quotidiennement de 6 à 7 ha. Une régression préoccupante que deux éléments pourraient accentuer : dans un premier temps, les attaques massives de scolytes ont inspiré aux propriétaires une certaine méfiance vis-à-vis de l’épicéa, ensuite, à la sortie de la pandémie, la hausse du prix des bois a pu inciter les propriétaires à se défaire de leurs épicéas avant que la crise suivante n’ait raison d’eux. Jusqu’il y a peu toutefois, l’inquiétude qu’inspirait l’érosion de la pessière était tempérée par le sentiment que le Douglas pourrait avantageusement se substituer à l’épicéa. Mais hélas depuis peu, la santé du Douglas elle aussi se révèle chancelante…

Où en sont réellement les peuplements d’épicéas en Wallonie ? Et ceux de résineux en général ? Comment risquent-ils d’évoluer au cours des trente ou cinquante prochaines années ? Quels sont les éléments qui conditionneront les choix des propriétaires, publics ou privés ? Pour esquisser l’avenir des résineux chez nous, les Rencontres accueilleront Jérôme Perin, assistant de recherche à l’ULiège (Gembloux Agro-Bio Tech), responsable de l’Accompagnement scientifique de l’Inventaire Permanent des Ressources Forestières de Wallonie, qui livrera les résultats des analyses prospectives de la ressource forestière qu’il conduit depuis plusieurs années. Ensuite, les hypothèses formulées à propos du comportement des propriétaires forestiers, et sur lesquelles se fonde la prospective, seront discutées par Julie Thomas, ingénieure au CNPF (Centre Nationale de la Propriété Forestière – France), responsable du suivi des enquêtes auprès des propriétaires forestiers et statistiques de la forêt privée.

« S’il y a moins de résineux, y a qu’à prendre du feuillu ! » Ben voyons ! La réalité est malheureusement plus complexe. Difficile de s’en remettre aux princes du « yakafokon ». Les résineux ont des qualités que les feuillus n’ont pas, et inversement. Ils ne sont pas interchangeables, et surtout pas pour un usage dans la construction, dans la structure en particulier. Par leur rectitude, leur cylindricité et les rendements au sciage qu’elles offrent, par leurs performances mécaniques rapportées à leur masse volumique, par leur homogénéité, etc., les résineux sont très précieux, et leur éventuelle rareté porterait un lourd préjudice à la construction bois, qui est, faut-il le rappeler, le débouché majeur du matériau bois. Dans quelle mesure l’industrie de transformation du bois, la mise en œuvre, les usages du bois dépendent-ils de l’épicéa, et des résineux en général ? Pour répondre à cette question, les Rencontres offriront leur tribune à Jean-Luc Sandoz, qu’il n’est presque plus utile de présenter. Parce qu’il est déjà intervenu lors de précédentes éditions des Rencontres, mais surtout parce son parcours hors du commun lui a apporté une très grande notoriété : chercheur puis professeur au laboratoire des Constructions en bois de l’EPFL (l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne), auteur d’ouvrages de référence sur la construction bois, fondateur du groupe CBS-Lifteam spécialisé dans la caractérisation du bois, l’innovation, l’étude et la réalisation de structures en bois, conférencier international, etc., etc.

Toutes ces considérations risquent cependant de demeurer sans effet s’il n’est pas possible de vider une vieille querelle dont les résineux sont l’objet. Les résineux qui produisent le bois d’œuvre ne sont pas des essences autochtones. La vox populi a de plus en plus tendance à les considérer comme des corps étrangers qui perturbent l’écosystème forestier. La sylviculture de résineux et la conservation de la biodiversité seraient antinomiques, et crier « Vivent les résineux ! » relèverait donc de la provocation. Le modèle sylvicole équienne monospécifique a vécu ; il était sans doute déraisonnable. Pour autant, les résineux méritent-ils d’être bannis ? En peuplements mélangés, sont-ils incompatibles avec le maintien de la biodiversité ? Derrière ces interrogations apparaît en filigrane la question fondamentale, celle dont dépendra toute stratégie forestière : est-il possible de concilier en forêt les objectifs économiques et environnementaux ? Pour avancer sur ce terrain miné, les Rencontres donneront la parole à Arnaud De Grave, forestier, chercheur, enseignant, informaticien, photographe, grand voyageur, qu’un parcours atypique a conduit jusqu’à Ecotree, une société qui propose, dans plusieurs pays d’Europe, des modèles de sylviculture qui intègrent des contraintes d’ordre à la fois écologique et économique.

Les forestiers wallons ne peuvent évidemment pas assister passivement à l’agonie de l’épicéa, victime du réchauffement climatique. Il faut rapidement identifier son ou ses substituts, feuillus ou résineux. Migration assistée ? Implantation d’essences exotiques ? Mais quelles essences, et où, sachant que le but n’est pas uniquement de pérenniser la forêt ; il faut aussi délivrer de la matière première en suffisance pour permettre à la filière bois de fonctionner, ou plutôt pour permettre aux générations futures de bénéficier encore des nombreux bienfaits du bois. Des questions prégnantes, cruciales, que se pose l’Europe entière. Brigitte Musch, généticienne, responsable du Conservatoire Génétique des Arbres Forestiers à l’ONF (Office National de la Forêt – France), grande artisane des « îlots d’avenir », viendra proposer une synthèse des avancées sur ce point, et préfigurer l’ère post-épicéa.

En fin de matinée, les Rencontres tâcheront de prendre de la hauteur ; elles dézoomeront pour considérer la filière bois non plus en tant que telle, mais comme une des composantes d’un ensemble socio-économique plus vaste. Quelles sont, d’un point de vue économique et financier, les tendances lourdes qui conditionneront l’avenir de la filière ? Quels rôles peut-elle jouer dans les mutations qui se profilent : mutation des modes de consommation, des grands équilibres mondiaux, du climat…

Les incidences au quotidien

Une information peut être transmise de manière très claire sans que la façon d’utiliser cette information, d’en tirer parti, soit bien comprise. « Les épicéas se raréfient, ils seront difficiles à remplacer ? J’entends bien, mais que voulez-vous que j’y fasse ? Et comment prémunir mon entreprise contre les risques auxquels cette raréfaction l’expose ? » Les Rencontres veulent éviter que les participants terminent la journée avec un tel sentiment d’insatisfaction, voire de frustration. C’est le sens des ateliers thématiques qui prolongent les exposés de la matinée. Dans ces ateliers, des forestiers et des entrepreneurs de la filière bois européens qui ont déjà été confrontés à la question traitée viendront rendre compte de leur expérience, faire part des difficultés auxquelles ils se sont heurtés, ou au contraire indiquer comment ils ont pu en tirer profit. Ce ne sont plus des exposés magistraux, mais plutôt des échanges, des réflexions partagées, des vécus confrontés. Des ateliers qui aborderont notamment des questions de sylviculture et production forestière, transformation et usages, de formation, etc.